Avec Une fille, Laura Cahen signe plus qu’un deuxième album. C’est un manifeste. Une affirmation d’elle-même, sans détours, de sa personnalité artistique comme de sa sexualité. Elle n’a jamais aussi bien chanté, et, surtout, ne s’est jamais aussi bien racontée.
Remontons rapidement aux sources de Laura. L’enfance mélomane à Nancy, l’apprentissage du piano, du violon, de la guitare, du chant… Un premier EP paraît en 2012. L’année suivante, elle est lauréate du FAIR. Ses tournées la mènent jusqu’en Chine et Saint-Pierre-et-Miquelon. Son premier album, Nord, réalisé avec Samy Osta (Juniore, Rover, Feu ! Chatterton) investit la scène française en 2017. Son timbre comme son écriture frappent immédiatement le public. Mais sa voix (sa voie, également !), Laura l’envisage autrement. Pour son second disque, elle choisit de travailler avec Dan Lévy, moitié de feu The Do et producteur émérite. Sa vision de la musique rejoint celle de Laura : « il n’était pas question de refaire le même disque que le premier, commente-t-elle, plutôt de prendre un contrepied plus minimaliste, plus sec, mélanger de la guitare électrique avec des sons électros. »
Dans un château d’eau en Normandie, puis à distance, confinement pandémique oblige, Laura et Dan jouent de tous les instruments et façonnent les chansons d’Une fille. D’une trentaine originellement écrite, une douzaine de morceaux a été retenue. Le titre tient au fait que l’album soit à la fois autobiographique et altruiste. Cette fille, c’est Laura, mais aussi celle qu’elle aime, ou celle dont elle imagine l’histoire, au-delà de notre espace-temps : « Mes personnages ont toutes à voir avec mon vécu, ce que je suis : une fille en 2020, homosexuelle, ce qui est plus facile qu’il y a un siècle, mais qui n’est pas si évident. » Pour la scène, Laura a choisi de ne s’entourer que de femmes, et les quatre clips cinétiques accompagnant l’album mettent chacun en scène une artiste, à commencer par Hafsia Herzi pour « Nuit Forêt ».
L’album s’ouvre sur l’histoire nocturne hantée de nappes synthétiques de « La Jetée », titre influencé par le film éponyme de Chris Marker. S’ensuit l’échappée sauvage de « Cavale », l’up tempo de « Désarmée », racontant une « fille du temps mauvais », la ritournelle faussement lo-fi des « Ronces ». Il y a également cet entêtant, puissant coming-out musical qu’est « Dans mon lit ». Puis la ballade synthétique, en suspension, de « Nuit Forêt » ; un duo avec Yaël Naim tout en cordes bucoliques et orientalisantes, « Coquelicot » ; la pop song entre deux eaux de « La Porte », les rythmiques martiales évoquant une Véronique Sanson de « Brume électrique » – inspiré par The Voices de Marjane Satrapi et Dans la brume électrique de Bertrand Tavernier. « Poussière », lui, convoque aussi bien Les heures sombres de Joe Wright que la série Chernobyl et le film préféré de Laura, La leçon de piano de Jane Campion.
Après un Nord explorant le passé, Une fille traduit le présent, revendique avec poésie l’identité homosexuelle et les convictions féministes de la chanteuse française, interrogée par l’actualité des féminicides et des manifestations intolérantes : « je peux avoir du mal à parler de ces sujets, mais, en revanche, plus d’aisance à en faire des chansons ». On le sait, l’intime est le terreau de l’universel, et, en se révélant comme elle le fait aujourd’hui, Laura Cahen parle à toutes et tous.